RDC : Les responsables de la débâcle doivent de Bukanga Lonzo doivent être punis ? Oui, mais dans le respect de la Loi

L’Inspection Générale des Finances (IGF) de la République Démocratique du Congo (RDC) a, au cours d’une conférence de presse animée par son Inspecteur General le mercredi 18 Novembre dernier, rendu public les conclusions des missions d’audits diligentées récemment sur la gestion de fonds publics dans plusieurs institutions et services dont le Parc Agro Industriel de Bukanga Lonzo (PAI-BL), couvrant une superficie de 80.000 hectares et situé à 250 km au sud-est de Kinshasa sur les provinces du Kwango et Kwilu.

 

Selon la Banque Africaine de Développement (BAD), le PAI-BL visait à stimuler une croissance du secteur agricole indispensable pour réduire la pauvreté, assurer la sécurité alimentaire et nutritionnelle des populations congolaises et générer durablement des emplois et des revenus.Force est de constater que les résultats obtenus à ce jour sont loin des attentes suscitées par ce projet qui devait servir de pilote avant l’érection des autres grands parcs agro-industriels dans les quatre coins du territoire de la RDC.

 

Selon le rapport de l’IGF, cet échec est imputable notamment la passation d’un marché de 285 millions USD de gré à gré, la surfacturation en moyenne de 1 à 10 dans l’acquisition des équipements et intrants agricoles. Par ailleurs, l’IGF allègue que sur la totalité des fonds décaissés seuls 80 millions USD auraient été effectivement investis dans ce projet et que l’Etat congolais y aurait perdu 205 millions USD.

Sous réserve de leur véracité, ces faits sont, de notre avis, d’une telle gravité qu’ils méritent qu’on y accorde les quelques lignes suivantes.

De la passation de marché de 285 millions USD de gré à gré

La Loi n°10/010 du 27 avril 2010 relative aux marchés publics en RDC stipule en son article 17 que les marchés publics sont passés par voie d’appel d’offres, une procédure qui permet à l’autorité contractante de choisir, sans négociation avec les candidats, l’offre économiquement la plus avantageuse, évaluée sur la base de critères objectifs préalablement portés à la connaissance des candidats. Ils peuvent exceptionnellement être attribués selon la procédure de gré à gré, dans les conditions définies dans la même loi, précisément dans les articles 41 à 45.

L’article 41 dispose que toute passation de marché de gré à gré est soumise à l’autorisation préalable du service chargé du contrôle des marchés publics, autorisation qui peut être justifiée par l’un des cas énumérés à les articles 42, 44 et 45. Il s’agit des cas où l’objet du marché est protégé par un brevet d’invention, une licence ou de droits exclusifs détenus par un seul prestataire, des  cas d’extrême urgence justifiés notamment par la force majeure ou encore dans des cas des marchés relatifs à la défense nationale, à la sécurité et aux intérêts stratégiques de l’État.

 

Du reste, l’arsenal juridique congolais  en la matière n’est pas très différent celui des autres pays de plusieurs pays. A titre d’exemple, la loi belge du 17 Juin 2016 sur les marchés publics consacre également le principe de la concurrence dans la passation des marchés publics, même si elle prévoit comme en droit congolais des exceptions énumérées en l’article 224 sur la possibilité d’un recours à une procédure négociée  sans mise en concurrence préalable (l’équivalent de la passation de marché de gré à gré).

 

Dans le cas d’espèce, les éléments spécifiques de la mission d’audit du projet Bukanga Lonzo devront le déterminer mais il semble  difficile sur base de la seule nature du marché de percevoir l’existence potentielle de brevets ou de licences ; ou encore des cas d’extrême urgence ou défense nationale ou de sécurité qui auraient pu justifier la passation d’un marché de gré à gré.

De la surfacturation moyenne de 1 à 10 sur les équipements et intrants agricoles

La question de la surfacturation est intimement liée à celle la passation de marché. Il est en effet extrêmement difficile de prouver qu’il y a eu surfacturation en analysant un projet de manière isolée, faute de recul suffisant sur son contexte.

Pour aboutir à une conclusion sérieuse de surfacturation, un travail de recherche approfondi est nécessaire afin d’évaluer le prix de chaque achat de biens et services en fonction de sa qualité ou spécificité propre, telle que définie dans le cahier des charges du projet. En effet, un produit dont le prix est considéré comme bas peut ne pas offrir la même garantie de qualité que celui dont le prix est considéré comme élevé. En dehors de la qualité du produit, la différence de prix dépend également largement du fournisseur du bien ou service ainsi que de son contexte propre. Les éléments tels que localisation du fournisseur (local ou étranger), ses sources d’approvisionnement (locales ou étrangères), le fait qu’il soit subventionné ou non, peuvent par exemple largement influer sur son système des prix.

C’est ainsi la procédure d’’appel d’offres est préconisée car elle permet d’intégrer les vertus du marché  en faisant jouer la concurrence entre les différents soumissionnaires à un marché public.

Par ailleurs, l’appel d’offres doit se dérouler selon des critères de confidentialité  stricts afin d’éviter tout risque de collusion entre les différents soumissionnaires qui anéantirait tout bénéfice que cette procédure est sensée apporter. A titre d’exemple, les différents soumissionnaires à l’appel ne doivent pas se connaitre, ils doivent tous présenter leur offre à la même heure, sous pli fermé, etc.

De l’investissement effectif de 80 millions de dollars américains et de la perte de 205 millions de dollars américains par l’Etat congolais

L’allégation selon laquelle seulement 80 millions USD auraient été effectivement investis dans le projet du PAI-BL est en réalité une conséquence de deux points précédents et n’appelle aucun commentaire qui se voudrait objectif de notre part sans avoir la preuve des allégations avancées.

En effet, si suite à ses investigations,  l’IGF a pu démontrer qu’il y a eu surfacturation qui aurait occasionné la perte de 205 millions, il  appartient à  cette dernière d’en apporter la preuve.

Conclusion

Il ressort de ce qui précède que les allégations de l’IGF sont d’une extrême gravité et que si elles étaient avérées, les maitres d’œuvre du projet Bukanga Lonzo se seraient mis en porte à faux par rapport à la loi congolaise sur les marchés publics en faisant perdre au projet et à l’Etat le bénéfice de la concurrence garantie par l’appel d’offre.

Toutefois, il faudrait noter à l’attention de l’IGF que tout audit crédible prévoit qu’         avant la publication de ses conclusions de donner l’occasion à la personne ou au service audité d’apporter ses explications. Si cette démarche n’est pas encore effectuée, il est impérieux pour l’IGF de prendre contact avec les services concernés pour obtenir des explications et le cas échéant, porter le dossier devant les juridictions compétentes.

En effet, on ne doit pas s’arrêter au niveau des recommandations mais aller jusqu’à la sanction pour faire stopper les comportements délictueux et répréhensibles.  Car la sanction est le dernier maillon de la chaine qui permet d’endiguer la mauvaise gestion. Seule la sanction  servira d’exemple et contribuera à faire stopper les comportements délictueux et répréhensibles qui jouent au détriment de la bonne gouvernance.

Par ailleurs, Bukanga Lonzo n’est qu’un cas parmi tous les autres projets qui ont échoué en RDC et mériteraient également des audits approfondis. Pour la garantir la crédibilité du processus, la sélection de ces projets devra se faire sur base des critères objectifs et non partisans. De même, les sanctions qui découleraient de cas de mégestion avérés, devront être basées sur les mêmes critères afin de promouvoir la bonne gouvernance en  RDC.

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