La république du Bénin, pays d’Afrique de l’Ouest avait bouclé le 12 janvier 2021 une importante opération financière sur les marchés financiers internationaux. Il s’agit d’un emprunt sous forme d’une émission obligataire en euros, d'un montant d’un milliard d'euros, réparti en deux tranches. L’une de 700 millions avec une maturité de 11 ans au taux de 4,875% et l’autre de 300 millions avec une maturité de 31 ans au taux de 6,875%.
Si emprunter n’est pas un fait exceptionnel pour un Etat, cet article voudrait montrer dans quelle mesure l’opération réalisée par le Bénin est remarquable.
Prenant appui sur des notions théoriques et des illustrations concrètes sur l’endettement des Etats, l’évaluation du risque et l’incidence de celle-ci sur le taux d’intérêt appliqué, l’article étaye les raisons qui justifient l’intérêt accordé au cas béninois. Il finit par relever les enseignements que peuvent en tirer ses pairs africains en s’appuyant sur le cas de la République Démocratique du Congo qui, ayant affiché sa volonté de lever des fonds sur les marchés financiers internationaux, s’inscrit dans logique du résultat atteint par le Bénin.
Les emprunts des Etats
Si la plupart des États ont des taux d'endettement élevés[1], c'est justement parce qu’ils empruntent régulièrement pour des raisons diverses comme financer des investissements, couvrir un déficit budgétaire, faire face à déséquilibre de la balance de paiements suite par exemple à baisse des exportations, une fuite des capitaux, etc.
Le graphique suivant qui affiche les 10 pays africains les plus endettés renseigne par exemple que le Soudan avait en Juin 2020 un total d’endettement qui représentait plus deux fois, son Produit Intérieur Brut (PIB), qui la mesure de la richesse d’un pays. Le taux d’endettement moyen de ces 10 pays (111,4%) indique qu’ils sont au moins aussi endettés que le niveau de leurs richesses. En d’autres termes, s’ils devaient payer toutes leurs dettes en une fois, ces pays dépenseraient tous leurs avoirs et n’auraient plus rien. Il est vrai que ce taux d’endettement est à nuancer en fonction du PIB respectif de chaque pays, les taux d’endettement élevés n’étant nécessairement synonymes de dettes en valeur comparativement à celles des pays développés. Il n’en est pas moins une indication intéressante du caractère finalement ordinaire de l’emprunt des Etats.
Les 10 pays les plus endettés d’Afrique en % du PIB au 30 juin 2020
Source : Fond Monétaire International
Les créanciers des États
Les Etats empruntent soit auprès de bailleurs de fonds bilatéraux ou multilatéraux ou encore auprès des investisseurs privés. L’emprunt auprès des investisseurs privés prenant souvent la forme d’émissions obligataires.
En ce qui concerne les Etats africains, les quatre grands groupes de créanciers qui détiennent leur dette[2] sont la Chine (17%), le Club de Paris[3], le Fonds Monétaire International (FMI) et la Banque Mondiale (27%), et enfin les Investisseurs privés (40%)[4].
De manière générale, les emprunts auprès des bailleurs de fonds bilatéraux et multilatéraux sont plus accessibles aux États, même s’ils restent soumis à des conditionnalités et à des critères d’éligibilité stricts. Le FMI par exemple subordonne ses appuis financiers à la réalisation effective des programmes d’ajustement qu’il assiste les autorités des pays bénéficiaires en mettre en place. Le total d’encours de crédits du FMI au 14 mai 2021 représentait un peu plus de 102 milliards de dollars américains pour un total d’un peu plus de 90 pays bénéficiaires[5]. Ce niveau relativement élevé d’encours se justifie par le caractère public de l’institution. Le FMI aide ses membres, touchés par une crise en leur apportant un appui financier qui leur donne la marge de manœuvre nécessaire pour faire des ajustements et rétablir la stabilité financière et la croissance[6].
Les emprunts réalisés, auprès des investisseurs privés répondent eux à une logique toute différente car soumis aux règles du marché. Les marchés financiers comme tout marché est la rencontre entre d’une part des préteurs ou détenteurs des capitaux et des emprunteurs ou demandeurs des capitaux de l’autre part. Les premiers acceptent de prêter des fonds aux derniers sur base d’un prix, en l’occurrence le taux d’intérêt. Il s'agit en d’autres termes du cas des personnes morales ou physiques qui placent leurs investissements afin d'obtenir un rendement, qu’ils espèrent au moins supérieur à celui du marché en fonction du risque[7] encouru.
Un investisseur est en général averse au risque, celui de ne pas recouvrer le montant de son investissement à maturité, qui est la durée convenue du prêt. Dès lors, s’il perçoit que ce risque est élevé dans le chef d’un candidat emprunteur, un comportement rationnel voudrait soit qu’il s’abstienne de prêter ou qu’il exige une prime de risque plus élevée, à la hauteur du risque encouru. La prime de risque étant la rémunération du préteur pour le risque associé à l’emprunteur, c’est-à-dire la probabilité que ce dernier ne respecte pas ses engagements vis-à-vis du préteur. En d’autres termes, pour deux investissements auxquels sont appliqués les mêmes taux de référence, l’investissement le plus risqué se verra appliqué un taux d’intérêt plus élevé car il y sera associé une prime de risque supérieure par rapport à celle de l’investissement considéré comme moins risqué.
La mesure du risque des Etats
Les agences de notation comme S&P Global Ratings, Moody’s Investors Service ou Fitch Ratings publient régulièrement, les notations de crédit de différents types d’emprunteurs (pays, entreprises, etc). Il s’agit des estimations de la capacité de ces emprunteurs à remplir leurs obligations financières. En agissant de la sorte, les agences de notation contribuent à la transparence de l’information financière en mettant à la disposition de la communauté d’investisseurs des données pertinentes en vue d’une prise de décision en connaissance de cause.
L'intérêt du cas béninois
Si emprunter est un fait courant pour un Etat, plusieurs éléments rendent intéressant le cas du Bénin qui, de l’avis de l’économiste Lionel Zinsou, marque un changement radical dans le rapport des investisseurs au continent africain[8]. Il s’agit d'un pays en développement, d'Afrique subsaharienne qui emprunte sur les marchés financiers internationaux, un montant important, soit un milliard d'euros, à des taux d’intérêt intéressants, à une maturité longue, soit plus de 30 ans.
Comme la plupart des pays africains empruntent auprès des bailleurs de fonds bilatéraux et multilatéraux (environ 60% de la dette africaine)[9], en levant des fonds sur les marchés internationaux, le cas du Bénin est illustratif pour ses pairs africains qui peuvent en tirer notamment les enseignements suivants :
- L’attractivité du Bénin
Le Bénin a su développer une grande attractivité auprès des investisseurs du monde entier. Cela se reflète notamment par la couverture géographique des investisseurs qui ont souscrits à ses émissions, ils se répartissent dans plusieurs régions du monde. Par ailleurs, le carnet d’ordres de ces émissions, résumé à un moment donné de l’état de l’offre et de la demande sur chaque valeur cotée et donc traduction de déclarations d’intentions d’achat des investisseurs, avait atteint 3 milliards d’euros, soit le triple du montant total à souscrire.
Cette attractivité est à mettre au crédit des performances économiques du Bénin et plus généralement de celles de la région UEMOA[10] selon Lionel Zinsou. Selon les prévisions du FMI, l’Afrique va rebondir, dès 2021, et que l’UEMOA va rebondir un peu mieux encore - le taux de croissance du PIB en valeur (inflation comprise) est projeté entre 7 et 9% en 2021- parce qu’elle a la chance de ne pas avoir de ressources naturelles minérales comme le cuivre ou le pétrole dont les prix ont baissé et, enfin, qu’à intérieur de l’UEMOA, le Bénin va probablement connaitre un des plus forts rebonds.
En outre, la croissance du Bénin est poussée par l’agriculture dans son ensemble, un modèle agrarien qui, comme de l’ensemble de l’UEMOA, est soutenable, parce qu’il irrigue aussi bien les services que l’industrie. Et enfin, le Bénin met un place un plan de relance qui va représenter 5 à 7 % du PIB[11].
- La faible perception du risque du Bénin
Le risque du Bénin est perçu comme faible, ce qui se traduit par une prime de risque moins élevé qui ensuite permet au Bénin d’emprunter sur les marchés internationaux à des taux d’intérêt relativement bas et à des maturités de plus en plus longues.
Le Bénin a emprunté à des taux d’intérêt de 4,875% et 6,875%, un exploit salué par les marchés. Car même si ces taux restent élevés, leur tendance à la baisse est largement encourageante, 4,875% pour l’émission de 11 ans contre 5,75 % pour une première mission d’eurobonds de 500 millions d’une maturité de 7 ans inférieure, contracté par le Bénin en 2019. En général, les taux augmentent avec la maturité, étant donné l’accroissement de l’incertitude liée à horizon de temps lointain. Emprunter à un taux plus bas pour une maturité plus longue relève est clairement une avancée.
Par ailleurs, la maturité de 31 ans sur 300 millions est une réalisation importante pour le Bénin. 31 ans représentent horizon temporel relativement long, particulièrement en ce qui concerne l’Afrique souvent considérée comme un continent risqué suite notamment à l’instabilité politique qui caractérisent certains Etats. Même si cette longue maturité s’accompagne d’un taux d’intérêt élevé, il s’agit d’un exploit.
- La capacité de négociations du Bénin
Le Bénin a démontré une grande capacité des négociations avant de conclure cette opération. Son ministre des finances, Romuald Wadagni, a déployé une opération de charme pour séduire les marchés. Il a séjourné à New York du 6 au 11 janvier 2021 afin de mener directement les négociations avec les principaux investisseurs potentiels. Les banques ont été difficiles à convaincre, certaines exprimant des doutes quant à la capacité du Bénin à lever des fonds sur une échéance de 30 ans et se sont interrogées sur la réceptivité du marché dans le contexte économique rendu difficile par la crise lié au Covid-19 [12].
Quel exemples pour ses pairs africains : cas de la République Démocratique du Congo
En ayant levé sur les marchés internationaux des fonds aussi importants, à des taux aussi attractifs tout en ayant suscité un tel enthousiasme auprès des investisseurs étrangers, le Bénin a réussi une performance remarquable qui lui permet de diversifier ses sources de financement et dès lors d’assurer une gestion plus efficace de ses finances publiques.
De ce fait, le Bénin a réalisé un succès que ses nombreux pairs africains n’ont pas encore réussi et fait donc office d’exemple. Pour preuve, d’autres pays africains s’inscrivent également dans cette logique.
Sur instruction de son Président, la République Démocratique du Congo, par exemple, a par le biais de son Ministre des Finances de l’époque, Sele Yalaguli, signé le 03 aout 2020 un partenariat avec Citibank RDC à travers lequel la RDC mandatait cette dernière à l’aider à améliorer la notation du pays et à accéder aux marchés financiers internationaux afin d’obtenir des financements en vue de faire face au vaste programme de développement du pays[13].
Cette démarche, de l’avis de Sele Yalaghuli, se justifiait par le fait que les ressources intérieures de la République Démocratique du Congo étaient limitées et que le pays ne pouvait plus uniquement compter sur ses bailleurs de fonds traditionnels comme la Banque Mondiale, la Banque Africaine de Développement.
Plus concrètement, Citibank devrait aider la RDC à mettre en place une feuille de route, accompagnée d’un calendrier bien précis. Pour ce faire, des échanges approfondis seraient prévus entre le Ministre des Finances et les experts de Citibank en vue d’entamer la phase opérationnelle de coopération.
A ce jour, aucune information n’est disponible sur la mise en œuvre de cette coopération. Tout porte à croire que ce contrat n’a pas encore produit ses effets car tous les types de notation de la RDC par S&P Global Ratings sont restés inchangés depuis le 04 août 2017 avec une mise à jour effectuée en janvier 2021.
Type de notation |
Notation |
Date de la notation |
Date de la dernière révision |
Perspective |
Date de la perspective |
Monnaie locale LT |
CCC+ |
04 août 2017 |
29 janvier 2021 |
Stable |
31 Juillet 2020 |
Monnaie locale CT |
C |
04 août 2017 |
29 janvier 2021 |
___ |
|
Devises LT |
CCC+ |
04 août 2017 |
29 janvier 2021 |
Stable |
31 Juillet 2020 |
Devises CT |
C |
04 août 2017 |
29 janvier 2021 |
___ |
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Source : Standards and Poors
A la décharge des autorités congolaises et de leur partenaire Citibank, il est trop tôt pour que pareil contrat ne produise des résultats. L’amélioration de la notation d’un pays est avant tout une question de crédibilité qui se construit sur le long terme en s’accompagnant des efforts soutenus dans tous les domaines pertinents. Seul le lobbying ne suffit pas, le pays devra fournir sur le long terme des garanties de stabilité politique, d’amélioration et de consolidation de son cadre macro-économique et d’une gestion saine des finances publiques.
Dès lors, une analyse ultérieure s’impose afin d’une part de présenter des détails sur l’exécution du contrat de partenariat entre la RDC et Citibank et d’autre part d’évaluer son impact sur l’amélioration de l’attractivité de la République Démocratique du Congo et son accès sur les marchés financiers internationaux.
[1] Le rapport exprimé en pourcentage entre la dette publique d’un pays (c’est-à-dire l’ensemble des engagements financiers pris sous forme d’emprunts par les administrations publiques. Cela inclut l’Etat, les collectivités territoriales et les organismes qui en dépendent directement) et le PIB qui correspond à la l’ensemble des richesses créées par un pays à un moment donné.
[2] Selon Jeune Afrique, la dette africaine était estimée à 771 milliards de dollars fin 2018
[3] Un groupe informel de créanciers publics, créé en 1956 dans le but de permettre aux pays créanciers « de recouvrer les arriérés et de trouver une solution efficace et rapide aux crises de la dette souveraine ». Il compte 22 membres permanents, parmi lesquels la France, les Etats-Unis, la Belgique, l’Allemagne, le Japon, la Suisse et le Brésil.
[4] Stéphane Ballong (2020), Qui détient la dette africaine ? Jeune Afrique, https://www.jeuneafrique.com/1001378/economie/qui-detient-la-dette-africaine
[5] https://www.imf.org/external/np/fin/tad/balmov2.aspx?type=TOTAL
[6] https://www.imf.org/fr/About/Factsheets/IMF-Lending
[7] La probabilité de perdre son investissement par le non-respect de l’emprunteur de ses engagements
[8] Matthieu Millecamps, 21 Janvier 2021, Lionel Zinsou: « Le Bénin et la BOAD viennent de marquer l’histoire financière de l’Afrique, Jeune Afrique https://www.jeunefafrique.com/1108659/economie.lionel-zinsou-avec-leurs-eurobonds-le-benin-et-la-boad-marquent-lhistoire
[9] ibidem
[10] L’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine
[11] Ibidem
[12] Matthieu Millecamps, 14 Janvier 2021, Avec son Eurobond d’un milliard d’euros, le Bénin lance la saison financière 2021, Jeune Afrique
[13] Deskeco, 03 aout 2020, RDC: Citi Bank s’engage à faire le lobbying de Kinshasa pour l’aider à accéder aux marchés financiers internationaux, https://www.deskeco.com/2020/08/05/rdc-citi-bank-sengage-faire-le-lobbying-de-Kinshasa-pour-laider-acceder-aux-marches